Dans l’imaginaire collectif, embaucher un docteur, surtout dans une entreprise liée à la santé, signifie embaucher un médecin qui a décidé de travailler pour cette entreprise plutôt que d’ouvrir son propre cabinet de médecine générale.
Les images et préjugés ont la vie dure, notamment en ce qui concerne les Docteurs en Sciences (é appelés PhD à l’international), et il semble important de sensibiliser les entreprises innovantes, en particulier les startups early stage, aux atouts que peut présenter le recrutement d’un jeune docteur (docteur n’ayant pas signé de CDI après sa thèse) pour renforcer ses activités de Recherche & Développement (R&D).
Les jeunes docteurs représentent donc pour les entreprises en recherche de talents une opportunité au niveau des compétences qu’ils apportent, mais disposent également d’une réelle incitation financière concernant leur recrutement.
En effet, le Crédit d’Impôt Recherche permet de financer jusqu’à 120% du salaire chargé d’un « jeune docteur » et ceci durant 2 ans après leur recrutement.
Autant dire que le risque financier à recruter un jeune docteur est largement minimisé !
Quel rôle joue le CIR dans le financement de la recherche et l’innovation en France ?
Depuis plusieurs années, le Crédit d’Impôt Recherche (CIR) a joué un rôle clé dans le financement de la recherche et de l’innovation en France. Ce dispositif a permis aux entreprises, grands groupes, PME et startups, de bénéficier d’un soutien financier pour leurs dépenses en R&D, notamment en matière de recrutement. Un avantage majeur du CIR consistait en une incitation à embaucher des jeunes docteur/es grâce à un financement couvrant jusqu’à 120 % de leur salaire pendant deux ans après leur thèse.
Le CIR: Un levier pour le recrutement en R&D des startups deeptech et industrielles
Le CIR facilitait l’intégration des jeunes chercheurs et chercheuses dans les entreprises, en réduisant le risque financier lié à leur embauche. Ce dispositif permettait ainsi aux entreprises, notamment aux startups deeptech et industrielles, de recruter des profils hautement qualifiés, issus de domaines de pointe tels que l’intelligence artificielle, la biologie ou encore le quantique. Comparé aux autres profils (technicien/nes, ingénieur/es, docteur/es déjà en CDI), le CIR offrait un financement plus avantageux, 120% contre environ 43 %.
Pour certains secteurs comme la santé ou le quantique, les docteur/es sont naturellement intégré/es dans la Recherche. Cependant ce n’est pas forcément le cas des startups industrielles qui se tournent peu vers ce genre de profils et privilégient des profils d’ingénieur/es. Le dispositif permettait de mettre en avant leur profil comme atout différenciant pour leurs activités de Recherche certes mais également de développement technique.
Depuis 2008, plusieurs ajustements avaient renforcé l’impact de ce dispositif, notamment l’extension de la durée de financement de 12 à 24 mois, avec l’objectif de consolider les équipes de R&D et de renforcer la collaboration entre la recherche académique et le secteur privé.
Une remise en question puis une suppression du dispositif
Récemment, un rapport de l’Inspection des Finances a remis en cause cette incitation, suggérant la suppression du financement spécifique aux jeunes docteur/es. Après de nombreux débats portant sur le PLF 2025 ayant conduit au maintien par les parlementaires de ce dispositif, la loi de Finances finalement adoptée en 49.3 et promulguée en février 2025, a mis un terme à cette mesure. Désormais, les entreprises ne bénéficient plus d’un avantage spécifique pour recruter ces profils.
Cette suppression a des conséquences immédiates. Pour les entreprises qui ont embauché avant le 16 février, le financement est stoppé net, impactant directement leur trésorerie avec un manque pouvant aller jusqu’à 120 000 euros. Ce changement pourrait dissuader les entreprises d’investir dans des profils doctoraux, au profit de recrutements plus classiques.
Quels risques pour l’innovation et la compétitivité des start-up industrielles?
Le CIR permettait aux startups d’atténuer plusieurs risques liés au recrutement :
- Risque humain : l’intégration et la gestion de profils scientifiques dans un environnement entrepreneurial.
- Risque scientifique et technique : un doctorant possède un bagage approfondi, rassurant pour les entreprises sur des projets innovants.
- Risque financier : en cas d’échec du recrutement, le dispositif sécurisait une partie des coûts.
Les startups deeptech et industrielles, particulièrement concernées par la R&D, pourraient ainsi voir leur capacité d’innovation réduite. À moyen terme, cela pourrait freiner le développement de technologies de rupture et limiter l’attractivité des profils doctoraux sur le marché de l’emploi.
La suppression de ce dispositif intervient dans un contexte où d’autres pays, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni et certaines nations asiatiques, valorisent fortement les jeunes chercheurs et chercheuses et leur offrent des opportunités d’emploi, et de salaire, particulièrement attractives.
Comment les startups peuvent s’adapter à ces changements ? Quelles méthodes mettre en place pour recruter des jeunes docteur/es ?
Face à cette nouvelle réalité, plusieurs pistes peuvent être envisagées :
- Explorer d’autres dispositifs : des solutions comme le SIFR (Structures d’Interface Formation-Recherche) permettent de maintenir des liens avec l’académique et d’évaluer l’intérêt d’un doctorant avant son embauche.
- Revoir les stratégies de recrutement : adopter des démarches plus proactives, comme l’identification de talents via leurs publications ou leurs travaux de recherche.
La suppression de cette incitation financière marque un tournant pour les entreprises innovantes. Il devient essentiel d’anticiper et de repenser les stratégies de recrutement afin de continuer à attirer et intégrer des profils hautement qualifiés au sein des entreprises françaises.
Article fondé sur le témoignage de Laurent Masscheleyn fondateur de RD2 Conseil, cabinet de recrutement spécialisé sur la recherche de jeunes docteur/es pour les besoins en R&D des PME innovantes et entreprises privées
Témoignages startups:
L’arrêt du dispositif Jeunes docteur/es : quel impact pour Pronoe ?
Pronoe est une deeptech et greentech spécialisée dans l’élimination du CO₂. Elle restaure la capacité naturelle des océans à capturer et stocker durablement le CO₂ de l’air. Concrètement, Pronoe conçoit et déploie des systèmes automatisés de traitement de l’eau qui s’intègrent aux opérations des sites industriels côtiers.
Le témoignage de Nicolas Sdez, CEO de Pronoe:
“Depuis notre création il y a deux ans, nous avons tiré parti du dispositif pour structurer notre équipe technique en phase early stage. Aujourd’hui, notre équipe compte 9 collaborateurs/trices en R&D, dont 7 docteur/es parmi lesquels 3 jeunes docteur/es. Ce soutien fiscal nous a ainsi permis d’embaucher des profils hautement qualifiés plus facilement.
L’arrêt du dispositif nous oblige désormais à repenser notre stratégie de recrutement. Sans cette incitation, nous pourrions être amenés à privilégier des ingénieur/es à former plutôt que des jeunes chercheurs ou chercheuses. Si l’impact financier immédiat reste limité, l’incertitude liée aux prévisions de CIR réduit notre visibilité et pourrait ralentir notre rythme d’embauche.
Dans ce contexte, nous nous concentrons sur la fidélisation de notre équipe actuelle et l’optimisation de nos recrutements futurs, tout en ajustant notre plan de financement. Nous restons confiants pour l’avenir, mais nous soulignons que sans ce dispositif, il nous aurait été bien plus difficile de recruter aussi rapidement des talents scientifiques de haut niveau, surtout en début de projet, lorsque nos ressources étaient encore très limitées.”
Témoignage de Nicolas Sdez récolté par Margaux Boucher
L’arrêt du dispositif Jeunes docteur/es : quel impact pour la DeepTech NcodiN?
NcodiN développe un interposeur optique basé sur une technologie propriétaire et révolutionnaire, débloquant la pleine scalabilité des processeurs HPC multi-chiplets. NcodiN permet des interconnexions die-to-die ultra-rapides et écoénergétiques en utilisant la lumière comme vecteur d’information. Le projet, issu de 15 ans de recherche au CNRS, a donné naissance à une startup en 2023. Le projet est en forte croissance avec un passage de 4 à 20 personnes suite à une levée de fonds pré-seed de 4,2M€.
Le partage de Francesco Manegatti, CEO de NcodiN :
“Notre startup repose sur une équipe de chercheurs/chercheuses et d’ingénieur/es hautement qualifié/es. L’année dernière, nous avons utilisé le dispositif pour recruter la moitié de nos nouvelles recrues, notamment pour des postes en R&D. Les jeunes docteur/es apportent une valeur ajoutée considérable en raison de leur expertise technique pointue, indispensable pour le développement de nos nouveaux procédés optiques, domaine en constante évolution.
Nous complétons ces profils avec des expert/es industriels, mais la capacité des jeunes docteur/es à assimiler des compétences très spécifiques et leur familiarité avec la recherche fondamentale restent un atout majeur pour notre croissance.
En 2024, notre assiette liée au CIR était importante, boostée par l’ancien dispositif jeunes docteur/es. Sans ce dispositif, nous aurions tout de même recruté ces talents, car notre besoin en compétences demeure essentiel. Toutefois, le processus de recrutement aurait été plus lent et l’accélération de nos activités aurait été moindre. L’impact sur notre runway, bien que non drastique, reste un facteur à considérer.
Le dispositif était une opportunité unique pour intégrer rapidement des talents hautement qualifiés dans le privé. Il motivait les entreprises à recruter ces profils en réduisant le risque lié à l’embauche. Pour les investisseurs étrangers valorisant la recherche et les profils thésards et post-doc, c’était un levier attractif.
Malgré l’arrêt du dispositif, nous continuerons à recruter majoritairement des jeunes chercheurs et chercheuses, car leur contribution est essentielle à notre vision et à notre stratégie R&D. Cependant, nous devons adapter notre gestion des ressources et anticiper les impacts financiers sur le long terme.
Francesco, fondateur et CEO de NcodiN, issu de la recherche publique souligne l’importance de ce dispositif qui a permis à son entreprise d’accélérer son développement tout en minimisant les risques financiers. Il rappelle que ce dispositif était un pont essentiel entre la recherche académique et l’industrie, bénéfique tant pour les startups que pour les jeunes chercheurs/chercheuses en quête d’opportunités professionnelles. Contrairement aux grandes entreprises, les startups sont plus averses au risque et sont plus prudentes dans leurs recrutements. Ce dispositif était un facteur clé de sécurisation.
En conclusion, nous espérons que des initiatives similaires verront le jour pour continuer à soutenir l’innovation et l’emploi des jeunes docteur/es et doctoresses dans les entreprises technologiques.”
Comment WILCO accompagne les startups face à ce changement ?
WILCO continue d’accompagner les startups dans leur recrutement. Cela passe par la création de fiches de poste attractives, mettant en avant les missions à forte valeur ajoutée et les perspectives d’évolution pour les talents réfléchissant à rejoindre une startup. WILCO aide également à identifier les canaux de recrutement les plus pertinents pour toucher les talents adéquats, tout en renforçant l’image de marque employeur des startups. Enfin, pour compenser la perte d’avantages fiscaux, WILCO conseille sur des leviers alternatifs tels que les BSPCE, les opportunités de formation et un environnement de travail stimulant, permettant ainsi d’attirer et fidéliser les meilleurs profils.